La fragilité accrue de l’appel incident
A la suite de récents arrêts de la Cour de cassation, rendus notamment dans le courant du mois d’octobre 2016, il est apparu nécessaire de synthétiser les règles applicables à l’appel incident dans les matières avec représentation obligatoire, au rang desquelles figurent désormais – et depuis le 1er août 2016 - les appels incidents des décisions rendues par les conseils de prud’hommes.
Si les règles initiales de l’appel incident semblent relativement simples (I), leur interprétation par la Cour de cassation et leur interpénétration avec les autres règles applicables aux autres parties à l’instance d’appel rendent leur appréhension plus délicate qu’il n’y parait (II).
I- C’est en un seul texte que les obligations de la partie intimée sur le recours formé devant la Cour d’appel sont exprimées.
L’article 909 du code de procédure civile oblige l’intimé à conclure dans les deux mois de la signification des conclusions de l’appelant.
C’est dans ce même délai de deux mois que l’intimé doit former appel incident s’il entend à son tour remettre en cause tout ou partie de la décision de première instance soumise à la censure de la Cour d’Appel.
C’est encore dans ce même délai que l’intimé doit former un appel provoqué à l’encontre d’une partie non intimée en appel à l’égard de laquelle il entend également remettre en cause tout ou partie de cette décision de première instance, cet appel provoqué devant être alors formé par assignation.
Il doit être ajouté qu’un intimé n’est pas tenu de signifier ses conclusions à un co-intimé défaillant à l’encontre duquel il ne formule aucune prétention, sauf en cas d’indivisibilité entre les parties, ou lorsqu’il sollicite la confirmation du jugement contenant des dispositions qui lui profitent et qui nuisent au co-intimé défaillant (Cour de cassation, Avis n° 01200003 du 2 avril 2012 Demandes d’avis n° 1200002 et 1200003).
La sanction du défaut de signification de conclusions dans ce délai de deux mois est l’irrecevabilité des conclusions hors délai, étant observé que cette sanction peut être prononcée d’office par le conseiller de la mise en état. En pratique, les délais de procédure étant surveillés avec attention par les Greffes des cours d’appel, il est donc très important pour le conseil processualiste de les suivre et de ne pas miser sur l’inattention de son adversaire au litige.
La Cour de cassation a complété le texte en décidant de surcroît que doivent être écartées des débats les pièces produites en même temps que des conclusions jugées irrecevables sur le fondement de l’article 909 (Cour de cassation, Assemblée plénière, 5 décembre 2014, pourvoi n°13-27501, Publié au bulletin).
La Cour de cassation a également précisé que l’irrégularité des premières conclusions de l’intimé le prive de la possibilité de conclure à nouveau (Cour de cassation 2ème Civ. 29 janvier 2015 pourvoi n°13-28019 & 13-28020) comme de soulever un moyen de défense ou un incident d'instance (Cour de cassation 2ème Civ. 28 janvier 2016 pourvoi n°14-8712, Publié au bulletin).
II- Aussi simples que puissent apparaître les dispositions de l’article 909, il n’en demeure pas moins que le sort de l’appel incident peut se trouver ébranlé – voire mis à néant de manière irréversible et définitive – tandis que l’appel principal viendrait lui-même à disparaître précocement.
Ainsi, selon la juridiction suprême, l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l’appel principal.
Ensuite de la caducité de l’appel principal, l’instance d’appel est éteinte, de sorte que la Cour d’appel ne peut être saisie de l’appel incident (Cour de cassation 2ème chambre civile, 13 mai 2015, pourvoi n°14-.13.801).
Par cette décision de mai 2015, la Cour de cassation entame sérieusement sa lecture habituelle des dispositions de l’article 550 du code de procédure civile qui permettaient de considérer que valait appel principal l’appel incident ou provoqué formé, même alors que l’appel principal serait jugé irrecevable, s’il avait été formé dans le délai pour agir à titre principal.
Plus encore, la Cour de cassation a-t-elle jugé à plusieurs reprises que du fait de son abstention, alors que cette voie de recours lui est ouverte dans les conditions prévues par l'article 550 du code de procédure civile, l’intimé n'est plus recevable à relever ensuite appel principal du jugement précédemment attaqué. La date de la signification de ce dernier est même jugée indifférente. (Civ. 2ème 13 octobre 2016 pourvoi n°15-25926 - Civ 2ème 4 décembre 2014 pourvoi n°13-25684 inédit - Civ. 2ème 7 avril 2016 pourvoi n°15-12770 inédit).
On voit, à travers ces décisions, que la portée de la caducité de l’appel principal dépasse le cadre juridique habituel de cette sanction, puisque cette caducité de l’appel met un terme à l’appel incident et, de surcroît, interdit à l’intimé de former un nouveau recours.
Enfin et par une exacte application des dispositions de l’article 548 du code de procédure civile, lorsqu’un jugement contient plusieurs chefs distincts et qu’une partie interjette appel seulement de l’un deux, l’intimé peut appeler incidemment des autres chefs.
Cet intimé ne peut voir son appel incident être rejeté au motif que son appel incident porterait sur un chef non déféré à titre principal et après l’expiration du délai pour ce faire (Civ. 2ème 13 octobre 2016 pourvoi n°15-21973).
En conséquence de ces jurisprudences récentes, l’intimé au recours en appel doit nécessairement s’interroger sur son intérêt à former un appel principal – en plus de se constituer sur l’appel de son adversaire - pour éviter de se voir couper l’herbe sous le pied par une décision de caducité sur laquelle il n’aurait eu aucune impulsion et qui le priverait de manière définitive de ses droits.
Par Maître Alexis Devauchelle, spécialiste de l’appel
Avocat au Barreau d’Orleans
12 rue de la République
45000 ORLEANS