L’aide juridique et les délais d’appel
Malgré le titre de cette courte note, c’est, à défaut de fable, une autre histoire que je m’en vais vous conter. Et celle-ci me paraît malheureusement - et à mon corps défendant - assez peu comique.
Le décret n°2016-1876 du 27 décembre 2016 (publié au journal officiel le lendemain - JORF n°0301 du 28 décembre 2016) portait « diverses dispositions relatives à l’aide juridictionnelle ».
Notamment, ce texte règlementaire a eu pour objet de calquer les règles déjà applicables à l’instance en cassation à l’instance d’appel et, notamment, a étendu l’effet interruptif de la demande d’aide juridictionnelle à l’ensemble des juridictions de second degré.
Pour le point qui concerne habituellement l’auteur de ces lignes, les dispositions intéressantes se trouvent aux articles 8, 9 et 50 du décret.
En premier lieu, l’article 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 (pris en application de la Loi n°91-647 du 10 juillet 1991) a été modifié. Désormais - et cela est tout à fait nouveau pour les instances d’appel - le recours est réputé avoir intenté dans le délai d’appel si une demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant a été adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant son expiration et si le recours est ensuite introduit dans un même délai à compter « de la date à laquelle le demandeur à l’aide ne peut plus contester la décision d’admission ou de rejet (…) ou, en cas de recours (…) de la date à la laquelle la décision (…) lui a été notifiée ».
Le lecteur notera qu’il n’est prudemment pas fait expressément référence à un effet « interruptif » des délais de recours, puisque le décret ‘répute' le recours intenté dans le délai si une demande d’aide juridictionnelle a été déposée avant son interruption. Toutefois, le résultat est identique.
Voilà un sort différent appliqué aux parties au litige d’appel au regard des délais de recours selon que l’une sollicite ou pas l’octroi de l’aide juridictionnelle.
Quelle aubaine offerte pour qui trouve le délai d’appel un peu court…
Il suffit donc de déposer un dossier à fin d’aide juridictionnelle pour bénéficier d’un répit qui dépendra de la célérité avec laquelle le bureau d’aide juridictionnelle, puis la juridiction saisie du recours éventuel contre cette décision statueront sur la demande d’aide.
En outre, c’est un nouveau délai de même nature qui sera offert au demandeur à l’aide qui se mettra à courir en suite, la demande produisant alors un effet interruptif - et non seulement suspensif - sur des délais de recours, lesquels ne connaissent ordinairement pas de causes d’interruption s’agissant de délais préfix.
L’intimé souhaitant bénéficier de l’aide juridictionnelle devra, quant à lui, conclure sans attendre la décision du bureau d’aide juridictionnelle au risque, sinon, d’épuiser le délai de deux mois pour conclure imposé par l’article 909 du code de procédure civile à peine d’irrecevabilité (sous réserve cependant de ce qui est indiqué plus bas sur la disparition relative de l’article 38-1 du décret de 1991).
D’autre part, quelle insécurité pour celui qui a fait l’effort de faire signifier la décision de première instance à l’effet de faire courir le délai de recours puis l’exécuter…
Celui-ci ne pourra donc avoir aucune certitude sur la consommation du délai d’appel et le caractère irrévocable de la décision. Le greffe délivrera au besoin un certificat de non-appel, mais sera, pour ce faire, dans la totale ignorance de l’interruption du délai d’appel, sauf à ce qu’un lien existe dans l’avenir entre les bureaux d’aide juridictionnelle et les greffes des cours d’appel.
L’exécution de la décision de première instance sera même menacée, puisque l’effet suspensif de l’appel pourra réapparaître au détour d’une procédure d’appel que l’on ne croyait plus envisageable…
La seule sauvegarde prévue pour le bénéficiaire d’un jugement est qu’une nouvelle demande d’aide juridictionnelle après un rejet définitif ne peut permettre d’interrompre une nouvelle fois le délai de recours.
Ouf… Mais c’est tout de même un peu juste.
La position du bénéficiaire du jugement apparaît ainsi particulièrement fragilisée.
En second lieu, l’article 38-1 du même décret de 1991 a été abrogé en son entier par l’article 9 du décret du 27 décembre 2016.
Or si cet article 38-1 prévoyait en son alinéa premier que le délai d’appel n’était pas interrompu par la demande d’aide juridictionnelle, il prévoyait en suite que les délais des articles 902 (pour dénoncer la déclaration d’appel), 908 & 909 (pour conclure) étaient en revanche interrompus par la demande d’aide juridictionnelle.
Du fait de cette abrogation, faut-il donc tenir désormais que seul le délai d’appel est affecté d’interruption par la demande d’aide juridictionnelle, les autres délais ne pouvant plus bénéficier d’une telle interruption ?
Se pose encore la question subséquente de l’interruption du délai d’appel incident ou provoqué pour l’intimé, mais là je pousse le raisonnement dans des directions apparemment non explorées par les auteurs du décret de décembre 2016.
Les praticiens de la procédure civile d’appel se sont aussitôt émus de cette abrogation maladroite.
Visiblement alertée, la Chancellerie a rapidement fait renaître le texte abrogé de ses cendres en vertu d’une circulaire en date du 19 janvier 2017 (JUST1701743C).
De manière assez stupéfiante, et en dépit de l’abrogation claire de l’article 38-1, la Chancellerie indique que l’extension de l’effet interruptif aux délais d’appel s’applique « également aux délais prévus aux articles 902, 908 à 910 du code de procédure civile, comme cela était le cas jusqu’à présent en vertu de l’ancien article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 » (cf. page 8 de la circulaire).
Pour le modeste auteur de ces quelques lignes, les pouvoirs de résurrection des auteurs de cette circulaire sont tout bonnement surprenants, du moins jusqu’à l’interprétation du décret de décembre 2016 par les juridictions qui sera peut être se montrer plus rigoureuses tant dans l’appréciation de la portée de l’abrogation que de la hiérarchie des normes.
Le principe de l’interruption des délais fixé aux articles 902 (pour dénoncer la déclaration d’appel), 908 & 909 (pour conclure) n’apparaît donc pas acquis avec certitude.
Enfin, sur le plan des dispositions transitoires, les auteurs du décret de 2016 ont été créatifs et ont rompu avec les usages puisque, au lieu de prévoir une application des modifications des délais de recours pour les instances (en l’occurence les appels) introduites à compter de sa date de publication, ils ont retenu que ces nouvelles règles d’interruption des délais avaient vocation à s’appliquer « aux demandes d’aide juridictionnelle faisant l’objet d’une décision intervenue à compter du 1er janvier 2017 ».
Pour apprécier la nature interruptive ou non de la décision d’aide juridictionnelle, c’est donc la date à laquelle cette décision d’aide juridictionnelle est intervenue qu’il faut prendre en considération et ce, même pour des instances déjà introduites devant les Cours d’appel et pour des demandes antérieures au 1er janvier 2017.
Les parties intimées dans les instances en cours au 1er janvier 2017 ayant sollicité cette aide doivent donc être particulièrement vigilantes, car le texte modifié du décret de 1991 s’applique à leur situation aussitôt, avec toutes les incertitudes qui l’entourent.
Ces mêmes parties pourraient envisager de bénéficier d’une prorogation du délai de l’article 909 du code de procédure civile avec l’effet d’aubaine généré par l’interprétation du décret par les services de la Chancellerie.
Les adversaires à ces parties pourraient également se trouver fort surprises par des délais de procédure qu’elles ne maîtriseraient plus.
Au surplus, si les parties intimées peuvent imaginer bénéficier d’un délai supplémentaire pour conclure voire former appel incident en cas d’aide juridictionnelle accordée après le 1er janvier 2017, cela pourrait toutefois ne pas être le cas en fonction de l’interprétation qui sera donnée par les juridictions de l’abrogation de l’article 38-1 précitée.
* *
Plus que jamais, au regard de ces dispositions modifiées, abrogées puis ressuscitées, la vigilance du professionnel du droit processuel devra s’exercer pour lui permettre de conseiller utilement son client.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’une modification du dispositif, cette fois par la voie réglementaire, intervienne rapidement pour corriger les effets pervers de cette nouvelle modification du décret de 1991. Cette modification pourrait peut être intervenir, les rédacteurs du décret du 27 décembre 2016 l’ayant d’ailleurs évoquée dans une note de bas de page n°2.
par Maître Alexis Devauchelle
Avocat spécialiste de l’appel
12 rue de la République
45000 Orléans